Mission Impossible

« Nous n’accepterons plus de vivre dans un monde qui non seulement tolère les violences illégales mais viole la mémoire et organise l’amnésie de ses forfaits. Notre témoignage critique doit transformer l’espace public, le droit, la police, la politique de l’archive, des médias et de la mémoire vive. Et il doit le faire en passant les frontières nationales. »

« Nous aurions, me semble-t-il «contre l’oubli», un premier devoir: pensons d’abord aux victimes, rendons-leur la voix qu’elles ont perdue. Pensons d’abord à la destinée – chaque fois unique et irremplaçable – de ceux et de celles à qui on a dénié le droit à la parole et au témoignage et qui ont eu à souffrir l’injustice dans leur vie, parfois dans leur honneur. Pensons à la machine qui les a ainsi broyés, à l’ignominie de certains individus, de certaines forces sociales, de certains appareils étatiques ou policiers. A chacune des victimes, toujours au singulier, à tous ces «disparus», nous devons épargner ce surcroît de violence : l’indignité, l’ensevelissement du nom ou la défiguration du souvenir.

Mais un autre devoir, je le crois, est indissociable du premier: en réparant l’injustice et en sauvant la mémoire, il nous revient de faire oeuvre critique, analytique et politique. En général et cette fois au-delà des singularités exemplaires. Les crimes en question, les censures, les amnésies, les refoulements, la manipulation ou le détournement des archives, tout cela signifie un certain état de la société civile, du droit et de l’État dans lesquels nous vivons. Citoyens de cet État ou citoyens du monde, au-delà même de la citoyenneté et de l’Etat-nation, nous devons tout faire pour mettre fin à l’inadmissible. Il ne s’agit plus seulement alors du passé, de mémoire et d’oubli. Nous n’accepterons plus de vivre dans un monde qui non seulement tolère les violences illégales mais viole la mémoire et organise l’amnésie de ses forfaits. Notre témoignage critique doit transformer l’espace public, le droit, la police, la politique de l’archive, des media et de la mémoire vive. Et il doit le faire en passant les frontières nationales. »
Déclaration de Jacques Derrida au colloque:
«17 et 18 octobre 1961: massacres d’Algériens sur ordonnance?» Un passé toujours présent

Lumumba’s gebit

‘Lumumba,
de god van de Albinos
heeft zich op jouw lijk gezet als op een toilet’
schreef ik dertig jaar geleden in een gedicht
en nu pas komt aan het trage licht
hoe Lumumba vernietigd werd.
Hoe de Belgische politie-inspecteur Gerard Soete het lijk bewerkte met een zaag en zwavelzuur.
‘Tot er niets overbleef,’ zegt hij.

Niets overbleef?
Hij wrikte twee vergulde snijtanden los en bewaarde ze.
‘Als souvenir’ zegt hij. Toen hij tachtig werd
zwierde hij ze in de Noordzee.

Niets overbleef?
Soete, ongeletterde, vleeshouwende huurling,
denk aan de Argonauten die in de Middellandse Zee zeilden
op zoek naar het Gulden Vlies.
Ze rukten de tanden uit de muil van de Draak
en zaaiden ze in het zand
en de tanden verwekten honderd krijgers
met bijlen en speren
en die hebben zich op een rij gezet.
En deze nacht komen zij krijsend naar je bed.

Hugo Claus

Le testament de Patrice Lumumba

Ma chère compagne, je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront et si je serai encore en vie lorsque tu les liras. Durant toute ma lutte pour l’indépendance de notre pays, nous n’avons jamais douté un instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans compromis, à une indépendance sans restriction, le colonialisme belge et ses alliées occidentaux, qui ont trouvé un appui direct et indirect, déclaré ou non déclaré, auprès de certains hauts fonctionnaires des Nations Unies – cet organisme dans lequel nous avions placé toute notre confiance, lorsque nous avions fait appel à son assistance – ne l’ont jamais voulu.

Ceux-ci ont corrompu certains de nos compatriotes, ils en ont acheté d ’autres, ils ont contribué à déformer la vérité et à saper notre indépendance. Que puis-je dire d’autre ? Que je sois mort ou vivant, libre ou prisonnier par ordre des colonialistes, ce n ’est pas ma personne qui compte, mais le Congo et notre pauvre peuple dont ils ont transformé l’indépendance en triste farce. Ma foi restera inébranlable.

Je sais et sens dans le fond de mon être que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ses ennemis intérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire « Non » au colonialisme dégradant et humiliant, et pour instaurer sa dignité sous un soleil éclatant. Nous ne sommes pas seuls. L’Afrique, l’Asie et les peuples libres et libérés de tous les coins du monde se trouveront toujours aux côtés des millions de Congolais qui ne cesseront la lutte tant que les colonialistes et leurs mercenaires se trouveront dans notre pays.

A mes fils, que j’ai quittés peut-être pour ne plus jamais les revoir, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux et de tous les Congolais la réalisation de la tâche sacrée de reconstruire notre indépendance et notre souveraineté ; parce que sans dignité il n’y a pas de liberté ; sans justice il n ’y pas de dignité et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres.

La brutalité, les sévices, les tortures ne m’ont jamais amené à implorer la grâce parce que je préfère mourir la tête haute, avec la foi indestructible et la confiance profonde dans la destinée de notre pays plutôt que de vivre dans la soumission en ayant renié les principes qui me sont sacrés.

L’histoire prononcera un jour son jugement, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, à paris, à Washington ou aux Nations Unie ; ce sera celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera, au Nord et au Sud du Sahara, une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Je sais que mon pays qui souffre tant saura défendre son indépendance et sa liberté.

Vive le Congo! Vive L’Afrique!